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Lois et règlements

Le responsable des opérations d’un transporteur peut être condamné pour avoir participé à une infraction de conduite dangereuse : conclusion de l’affaire Fummerton

Dans notre article intitulé « Suite à un accident mortel, le responsable des opérations d’un transporteur peut faire face à des accusations criminelles : l’affaire Fummerton », nous vous informions que Ian Fummerton, le propriétaire et responsable des opérations d’ABI Trucking inc., un transporteur ontarien, subirait personnellement un procès pour négligence criminelle causant la mort, et ce, relativement à un accident causé par un conducteur d’ABI Trucking, alors que M. Fummerton n’était pas présent au moment de l’accident.

Le 26 juin dernier, suivant une entente sur le plaidoyer entre la Couronne et M. Fummerton, la Cour supérieure de l’Ontario déclare ce dernier coupable de conduite dangereuse (article 249 C.cr.) et prononce une peine de 6 mois d’incarcération, suivis par 18 mois de probation (R c. Fummerton, 2017 ONSC 3866).

Les faits de l’affaire sont les suivants. Le 13 février 2014, un conducteur d’ABI Trucking effectue un transport entre Mississauga et Thunder Bay. Vers 6 h 00, il dépasse la ligne médiane et entre en collision avec un véhicule circulant en sens inverse. Le conducteur de cet autre véhicule décède sur le coup. Lorsque les enquêteurs analysent le véhicule d’ABI Trucking, ils observent que le conducteur n’a pas respecté ses obligations en matière d’heures de service et qu’il était habituel, pour les conducteurs d’ABI Trucking, de ne pas se conformer aux périodes de repos imposées par la loi. Leur enquête révèle de plus que cette pratique était appuyée par M. Fummerton, qui en avait connaissance et fournissait même aux conducteurs deux fiches journalières par jour afin de masquer le fait qu’ils conduisaient au-delà du nombre d’heures permises.

La Couronne décide de porter des accusations de négligence criminelle causant la mort contre le conducteur, mais aussi à l’endroit de M. Fummerton. (Nous avons discuté du fondement juridique de ces accusations dans l’article antérieur mentionné ci-dessus.)

Avant son procès, M. Fummerton s’entend avec la Couronne pour plaider coupable relativement à l’infraction moindre de conduite dangereuse (art. 249 du Code criminel). Cette infraction permet de sanctionner la conduite d’un véhicule qui, dans les circonstances, apparaît objectivement dangereuse et qui s’écarte de façon marquée de la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable placée dans la même situation. À cet égard, il faut observer le risque qu’engendre la conduite en cause et non ses conséquences réelles. Notons que le juge du procès prend soin de préciser que M. Fummerton n’a pas plaidé coupable à l’infraction de conduite dangereuse causant la mort. Il ajoute qu’il ne tire aucune conclusion quant à la cause de l’accident, qu’il s’agisse de la fatigue que subissait le conducteur d’ABI Trucking ou de toute autre cause.

Selon le juge, le risque de dommage que peut engendrer un véhicule lourd est évident. Tant les conducteurs que les opérateurs doivent porter attention à ces risques. M. Fummerton, en tant que propriétaire et responsable des opérations d’ABI Trucking, avait l’obligation légale de prendre « les mesures voulues pour éviter qu’il n’en résulte de blessure corporelle pour autrui » (article 217.1 C.cr.). Dans le dossier de M. Fummerton, la Cour conclut que celui-ci devait donc s’assurer que ses employés respectaient les lois applicables en matière d’heures de service. De plus, l’article 21 C.cr. prévoit que la personne qui accomplit ou omet d’accomplir quelque chose en vue d’encourager quelqu’un à commettre une infraction, ou qui encourage quelqu’un à commettre une infraction, participe à cette infraction.

Puisque M. Fummerton n’a pas assuré la conformité des conducteurs d’ABI Trucking avec les lois et règlements en matière d’heures de service, le juge conclut que la conduite de M. Fummerton représente un écart marqué de celle d’un propriétaire-opérateur de véhicules commerciaux raisonnablement prudent. Couplé avec la participation prévue à l’article 21 C.cr., M. Fummerton pouvait valablement plaider coupable lui-même à la conduite dangereuse.

Quant à la peine, le juge identifie plusieurs facteurs aggravants. M. Fummerton, lui-même un conducteur de véhicules lourds expérimenté, savait qu’il employait des conducteurs enclins à ne pas respecter les règles. Il fournissait à ceux-ci les moyens de ne pas se conformer à leurs obligations en matière d’heures de service. Cette pratique était persistante et fréquente. La vitesse de la combinaison des véhicules d’environ 10 tonnes était élevée (environ 105 km/h), et ce, sur des autoroutes souvent fréquentées par le public. Le juge refuse toutefois de considérer des contraventions antérieures en matière d’heures de service comme étant un facteur aggravant. En effet, la preuve ne démontre pas l’absence de diligence de M. Fummerton à cet égard.

M. Fummerton est donc condamné à une peine de 6 mois d’emprisonnement et 18 mois de probation, considérant que l’infraction est grave, que le degré de responsabilité de M. Fummerton est élevé, mais que le risque de récidive est minime.

À la lumière de l’affaire Fummerton, la première en son genre au Canada, il est possible d’affirmer que suite à un accident mortel, le responsable des opérations d’un transporteur peut être déclaré coupable d’une infraction criminelle, et ce, même si ce responsable n’était pas sur les lieux au moment de l’accident.